· 

Denis Bodar - Comprendre les troubles et les dys chez les élèves

 

 Je suis Denis Bodar, coach scolaire et coach d’orientation depuis quatre ans. J’ai co-fondé mon entreprise, Eklosia, après plus de 26 ans dans l’Éducation Nationale, comme enseignantpuis personnel de direction. Je suis aussi père de quatre enfants, de 5 à 28 ans, autant dire que je connais bien les problématiques scolaires !

 

Ce qui m’a poussé à créer Eklosia, c’est un constat simple : l’école demande à nos enfants de faire des choses qu’elle ne leur enseigne pas toujours. Apprendre, s’orienter, s’organiser. Face aux élèves avec des troubles ou des fonctionnements cognitifs différents, l’école reste souvent démunie.

 

Je travaille aujourd’hui auprès d’adolescents et de jeunes adultes. Je les accompagne dans deux dimensions essentielles : la réussite scolaire et la construction de leur projet

d’orientation.

Qu’est-ce qui vous a conduit à travailler avec les jeunes, notamment ceux qui rencontrent des difficultés scolaires ou des particularités d’apprentissage ?

Mon objectif est de leur transmettre des méthodes de travail adaptées à leur fonctionnement cognitif, de les aider à mieux se connaître, à comprendre leurs forces et leurs limites, et à retrouver confiance en eux. Je ne propose ni recettes toutes faites ni discours culpabilisants, je m’appuie sur les sciences cognitives, sur l’écoute, et sur une approche personnalisée. Mon rôle est d’aider le jeune à se mettre en mouvement, à prendre des décisions éclairées et à s’autoriser à envisager un avenir qui lui ressemble.

On parle aujourd’hui de plus en plus de « troubles des apprentissages » ou de « neuroatypies », que recouvrent ces termes exactement ? Pouvez-vous nous aider à mieux comprendre ce qu’ils désignent, et ce qu’ils ne désignent pas ?

Le mot « neuroatypie » n’a pas de valeur scientifique stricte, mais il est de plus en plus utilisé car il est inclusif. On y regroupe généralement les troubles DYS, le TDA/H, le HPI, et parfois le TSA. Je laisse volontairement de côté le TSA ici, parce que je ne me sens pas compétent pour accompagner les jeunes concernés. Je me concentre sur les apprentissages scolaires, les difficultés rencontrées par ces jeunes dépassent ce cadre. Concernant le HPI, ce n’est pas un trouble, mais un profil cognitif particulier. Et s’il est parfois discuté de le faire entrer dans les neuroatypies, je l’inclus car certains adolescents à haut potentiel rencontrent de vraies difficultés scolaires. Ce n’est pas leur fonctionnement cognitif qui est en cause, mais la façon dont l’environnement scolaire interagit avec lui.

Pourriez-vous nous donner quelques définitions ?

Les troubles DYS sont des troubles spécifiques des apprentissages. Ils viennent d’un fonctionnement différent du cerveau, présent dès le développement de l’enfant. Ce n’est pas une maladie, ni un problème d’intelligence ou d’éducation, mais une façon particulière de traiter certaines informations, souvent liée à des facteurs génétiques.

 

On parle de :

 

• dyslexie : lecture,

• dysorthographie : orthographe,

• dyscalculie : calcul,

• dysgraphie : écriture,

• dyspraxie : coordination,

• dysphasie : langage oral.

 

Ils sont en général repérés à l’école, mais leur identification et leur prise en charge nécessitent l’intervention de professionnels de santé ou de soin (orthophonistes, psychologues,neuropsychologues, etc.). On estime que 6 à 8 % des enfants sont concernés, et souvent, plusieurs troubles coexistent.

 

La MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) peut reconnaître ces troubles et permettre des aménagements scolaires : aides humaines, matériel, temps supplémentaire...

 

Lorsque j’accompagne des jeunes ayant ce profil, je dois beaucoup travailler avec eux sur leur estime personnelle. Mon approche n’est pas thérapeutique ni psychologique, mais en leur faisant découvrir des outils ou des méthodes de travail qui leur conviennent davantage que ce qu’ils font spontanément ou que leurs parents leurs proposent, ils reprennent confiance dans

leurs capacités. D’une manière générale, mon approche consiste à faire comprendre aux jeunes que j’accompagne comment fonctionne leur cerveau, pourquoi les méthodes généralement utilisées pour apprendre sont peu voire non efficaces.

 

Nous devons toujours ou presque aborder les questions de motivation ou de sens de l’école.

 

Les jeunes « dys » ont souvent l’impression qu’ils ne sont pas aussi intelligents que les autres, alors qu’un trouble des apprentissages n’affecte pas nécessairement leur capacité à résoudre des problèmes.

Et le TDA/H, qu’est-ce que c’est ?

Le TDA/H (trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité) est un trouble neurodéveloppemental qui touche environ 5 à 7 % de la population. Il est universel et connu médicalement depuis plus de deux siècles. Il peut être reconnu comme un handicap et ouvre droit aux mêmes aides que les DYS.

 

Le problème, c’est qu’il est souvent mal compris. On confond encore trop souvent TDA/H et manque d’éducation ou de volonté. Or, c’est un diagnostic clinique, qu’un neuropsychologue peut poser. Il n’y a pas de test sanguin ou d’imagerie qui le révèle. Ce sont les comportements répétés, persistants, et qui perturbent le fonctionnement quotidien qui alertent.

 

Alors, comment savoir si un enfant ou un adolescent est concerné par le TDA/H ou s’il

est juste mal élevé ?

 

Il y a des signes qui peuvent alerter :

 

• impulsivité (paroles coupées, agitation),

• difficulté à attendre son tour,

• intolérance à la frustration,

• oublis fréquents, objets perdus,

• mauvaise gestion du temps,

• procrastination, désengagement...

 

Aucun de ces signes ne suffit à lui seul. Ce n’est pas une checklist. Ce sont des éléments qui, s’ils durent, peuvent justifier une évaluation neuropsychologique.

 

À quoi correspond le /H de TDA/H ?

 

Il y a plusieurs formes de TDA/H. Certains ont surtout des troubles attentionnels (TDA), d’autres une hyperactivité motrice ou verbale (TDAH), d’autres encore les deux.

 

Les enfants « dans la lune » sont souvent des filles. Les profils hyperactifs sont plus visibles et posent rapidement problème en classe. Ce qui ne veut pas dire que les autres souffrent moins.

 

Pourquoi le diagnostic est-il difficile à poser ?

 

Parce qu’il y a beaucoup de facteurs qui peuvent produire les mêmes symptômes : environnement instable, carences éducatives, traumatismes passés... Et parfois aussi le HPI, qui peut entraîner de l’ennui, un comportement oppositionnel, du désengagement.

On peut aussi cumuler TDA/H, HPI et troubles DYS. C’est complexe. C’est pour cela que seul un professionnel formé peut établir un diagnostic.

 

On parle de plus en plus de TDA/H, est-ce que c’est un effet de mode ou une épidémie ?

 

Ni l’un ni l’autre. Le fait qu’on en parle davantage, c’est surtout qu’on le repère mieux. Et c’est une très bonne chose. Aujourd’hui, le système scolaire peine encore à accueillir ces profils. Faute de formation et parfois même d’information, les enseignants sont souvent désarmés.

 

Je me suis formé spécifiquement pour accompagner ces jeunes. Ceux que je rencontre ont en général une estime d’eux-mêmes très abîmée. Ils essaient de compenser leurs difficultés par des méthodes classiques — comme travailler plus longtemps — qui ne fonctionnent pas pour eux.

 

Alors ils doutent de leur intelligence, pensent qu’ils sont paresseux, voire incapables.

 

Mon travail consiste d’abord à leur expliquer ce qui se passe. À leur montrer qu’ils ne sont pas responsables de leurs difficultés, qu’elles sont liées à leur trouble, et qu’on peut y répondre. L’analogie que j’utilise souvent, c’est la myopie : on n’y voit pas mieux en se concentrant plus fort, mais avec des lunettes adaptées, on peut compenser efficacement.

 

Ensuite, on travaille sur des outils concrets : organisation du travail, gestion du temps,

motivation.

 

Ce sont des leviers qui leur redonnent du pouvoir d’agir.

Et le Haut Potentiel Intellectuel ?  Comment reconnaître un enfant HPI ?

Le HPI est un fonctionnement intellectuel particulier, caractérisé par un QI supérieur à 130.

Cela concerne environ 2 % de la population. Ce n’est ni une pathologie, ni un trouble, mais ça peut générer des difficultés si l’environnement n’est pas adapté.

 

Il y a un facteur génétique, mais ce n’est pas tout. L’environnement joue un grand rôle : stimulation, langage, sécurité affective...

 

Concrètement, qu’est-ce qui se passe dans le cerveau des HPI ?

 

Ils traitent l’information plus rapidement, ont une mémoire de travail plus efficace, une capacité de raisonnement plus fluide. Mais ce profil peut aussi entraîner une tendance à suranalyser, à chercher du sens partout, ce qui peut devenir un frein en milieu scolaire.

 

Comment reconnaître un enfant HPI ?

 

Il y a des indices : curiosité intellectuelle, vocabulaire riche, hypersensibilité, raisonnement rapide, ennui en classe. Mais seul un test psychométrique réalisé par un psychologue peut permettre de poser ce profil.

 

Les outils utilisés sont la WISC (enfants) ou la WAIS (adultes). On n’évalue pas juste un chiffre, on regarde le profil global, les écarts, le vécu. Certains jeunes HPI ont des résultats hétérogènes à cause de l’anxiété ou d’un trouble associé. C’est au psychologue de poser une analyse fine.

 

Comme pour le TDA/H, on a parfois l’impression qu’il y a de plus en plus d’enfant HPI. Est-ce la réalité, une mode ?

 

Le pourcentage ne change pas, c’est la reconnaissance qui augmente. Et parfois, la confusion avec l’hypersensibilité peut amener à des auto-évaluations un peu rapides.

 

Pourquoi certains adolescents HPI ont-ils des difficultés à l’école alors que leur profil intellectuel devrait les prédisposer à la réussite ?

 

Beaucoup réussissent bien voire très bien, et passent inaperçus à l’école. Mais certains s’ennuient, ou décrochent quand on leur demande de faire des efforts qu’ils n’ont jamais eu à fournir. Ils sont en difficulté dès que l’école exige une méthode ou une régularité.

 

Ceux que je vois le plus souvent sont des jeunes qui ont traversé le collège sans travailler, puis tombent de haut en 3e ou en seconde. Ils doutent d’eux-mêmes, pensent que leur intelligence est en train de disparaître. Ils ont souvent un état d’esprit fixe : “si je dois m’y mettre, c’est que je ne suis pas intelligent”.

 

Je travaille alors sur la notion d’état d’esprit de développement. Le fait que je sois moi-même HPI et que j’aie été un lycéen médiocre me donne une proximité particulière avec eux.

 

Je vois aussi des adolescents avec de bons résultats mais qui ont besoin de comprendre leur fonctionnement. Certains surinterprètent les consignes, sortent du sujet, ou ne comprennent pas pourquoi il faut détailler un raisonnement qu’ils jugent évident.

Quel lien faites-vous entre les profils atypiques et l’orientation scolaire ? Et comment accompagnez-vous les jeunes dans leurs choix d’avenir ?

Lorsqu’un jeune commence à mieux se comprendre, qu’il soit “dys”, TDA/H ou HPI, la question de l’avenir prend une place centrale. L’orientation scolaire, c’est l’autre pilier de mon accompagnement.

 

Et sur ce point, ma position est claire : aucun profil ne doit a priori limiter les possibles. Ce n’est pas un diagnostic, ni un quotient intellectuel, qui doit dicter une voie, mais une connaissance fine de soi. J’aide les adolescents à réfléchir à leurs capacités de

travail, à leur niveau d’autonomie, à leurs besoins cognitifs, psychologiques ou sensoriels, à leurs valeurs, à leur rapport à l’effort.

 

L’enjeu n’est pas de trouver « la bonne voie » mais de faire un choix adapté. C’est là que ma double compétence prend tout son sens.

 

J’accompagne en ce moment une jeune fille avec un TDA de type inattentif, qui souhaite faire des études de médecine. Si elle aborde ces études exigeantes avec les mêmes méthodes que les autres, elle risque de se décourager et de s’épuiser rapidement. En revanche, si elle met en place des stratégies adaptées à son fonctionnement, comme le fractionnement du travail,

l’intégration d’activités physiques régulières et l’utilisation de techniques de mémorisation efficaces, elle a toutes les chances de réussir.

 

Que ce soit durant les études ou plus tard, dans le monde du travail, certains environnements seront vécus comme trop contraignants, d’autres comme porteurs. Mon rôle est d’amener les jeunes à amorcer cette réflexion et d’accompagner leurs décisions à court et moyen terme : choix d’options, de spécialités, de parcours post-bac.

 

Mais je cherche aussi à lancer un processus d’exploration plus large, qui les aide à construire progressivement une orientation à

leur image, au fil de leur évolution personnelle et de leurs expériences. Mon accompagnement ne vise pas une réponse figée, mais une posture active.